lundi 25 octobre 2010

Transgression


















"Par la transgression de la frontière séparant ordinairement le photographe de son sujet, je suis devenu l'objet de mes propres images. En faisant irruption dans l'image, je prends place dans le monde, j'en réinvente l'usage, je me libère d'une logique qui substitue la peur au désir. C'est un rapport impur qu'affirme en dernier lieu cette relation avec mon personnage. Dans notre confrontation permanente, il prend doucement le dessus. Dans cet espace où prend forme la tension entre réalité et fiction, je renonce à mon identité et je deviens ma propre surface sensible. Je fouille le réel. J'organise la possibilité que les événements adviennent. J'extirpe la matière de situations vécues et détournées pour affirmer, finalement, la prédominance de l'expérience vécue sur l'art. Je documente ce que je vis, et vis chaque situation dans le dessein de la documenter. Les stratégies sont nombreuses : mise en scène de l'interdit, dramaturgie de l'irreprésentable, divorce entre mode narratif et autobiographique. L'appel de l'impossible me conduit vers une vérité dont chacun préfère ordinairement se détourner. Une telle pratique n'est ni pure, ni inoffensive. La photographie qui naît de cette expérience est en même temps sa condition de possibilité, toujours biaisée. La photographie s'est greffée sur ma vie, s'en nourrit comme d'une chair vivante. Solitude, désir, perversion, obsession, manque, errance, douleur. Rituel, risque, jouissance, lucidité, distance, indifférence. Vide, obscurité, inconscience, extase, mort. Écriture automatique et narcotique. Les gorges et les hanches s'offrent au moins offrant. Les maquillages agonisent et les corps se liquéfient sur des danses dénaturées. Les parfums de foutre et les cristaux illégaux donnent à la salive un arrière-goût de codéine et d'abstinence forcée. Et, toujours, la peur de retrouver la chambre d'hôtel, le remords sournois d'être encore éveillé. J'improvise sur la partition vierge d'une autre nuit blanche. J'attends le mirage de l'aube. La nuit se lit comme la décomposition, éclatée dans le temps, d'un fix d'héroïne. La distance que j'instaure dans mes rapports les plus intimes au monde, le filtre pervers d'une lucidité hallucinée, la force, la résistance, la patience, la capacité au silence, la fascination pour le néant, me viennent de ces substances toxiques. Elles me laissent dans un état proche de celui où se morfondent mes personnages désemparés. Elles sont la matière d'un récit inabouti d'interactions brèves et douloureuses avec le monde. Seul l'imaginaire peut dévoiler l'impossible réel. Il nous faut, pour le nourrir, traverser le monde, le réinventer et en jouir, littéralement. La fiction n'est légitime que si elle s'appuie sur un engagement forcené. L'art ne peut être jugé que comme un compte-rendu autobiographique. Il est un outil, pas une fin en soi. Il permet d'identifier les failles et les fissures qui ouvrent l'accès à une réalité cryptée, et de s'y immiscer. Il permet de reformuler notre interdépendance avec le monde et d'en découvrir de nouveaux usages. Il définit les territoires propices à la lutte féroce qui oppose, à chaque instant, les forces subtiles de l'abstraction du monde et du puritanisme libéral au chaos et aux mécaniques de la chair. L'instinct animal est le dernier rempart contre l'idéologie, seul susceptible de défaire les carcans insidieux de l'esprit et du regard. Il est l'ultime refuge des ombres fragiles qui, promises aux bidonvilles d'un au-delà illusoire, échappent à la pornographie sociale par la réappropriation du corps. Dans ces zones franches, les hommes et les femmes, rouages déshumanisés des économies et des religions globales, s'affranchissent du manque physique et ouvrent l'accès aux derniers rites magiques."

6 commentaires:

  1. Ouais, bof. Jprèfère les photos de voyage. Avec moins de texte et moins de flou.

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  2. Moins d'émotions aussi.

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  3. C'est dommage d'avoir la flemme ; les textes sont vraiment super.

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  4. Soeur Marie Jeanne des Entommeurs26 octobre 2010 à 08:19

    Ouais, bah l'émotion, c'est pas comme le sida, c'est pas contagieux. Moi je trouve plus d'émotion (vraie) dans les beaux visages où y a une histoire bien gravée dessus en ride et crevasse. Les nymphettes façon Hamilton avec un commentaire façon Branchouillski... je m'ennuie. Désolée d'être aussi abrupte. On préfère quand c'est l'image elle-même qui est intelligente. Quant au texte, gare à l'enflure!
    Maladie caractéristique de ce qui est creux...
    Qu'est-ce que "les bidonvilles d'un au-delà illusoires"? Qu'est-ce que "les religions globales" ? Qu'est-ce que la "réappropriation des corps" dans une "zone franche" [lexique économique, j'adore] hors de "la pornographie sociale" ? La nuit comme "un fix d'héroïne", j'attends le mirage de l'aube (et non la promesse de l'aube... en quoi est-ce un mirage? mystère...) "je deviens ma propre surface sensible" ?
    Qu'est-ce que c'est que ce charabia pédantesque?
    Quelle est l'idée? La photographie m'a sauvé de la décomposition mentale ? C'est ça ?
    Comme c'est beau ! Et audacieux surtout !

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  5. Ay pour moi les textes sont très beaux, de même que les photos

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  6. Si je puis me permettre d'intervenir sur un point de détail : il ne s'agit ni de nymphettes ni de façon hamilton
    c'est d'ailleurs là que réside le point : ce n'est pas parce qu'il y a une jeune fille que c'est une nymphette ni parce qu'elle est parfois dénudée que c'est hamilton.
    c'est justement l'inverse exact de la conception d'Hamilton à propos de la nudité et de l'intimité.
    Merci.

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