vendredi 31 décembre 2010

la guerre, reproduction technique de morts

La critique des dandys


   "Dans ces jours déplorables, une industrie nouvelle se produisit, qui ne contribua pas peu à confirmer la sottise dans sa foi et à ruiner ce qui pouvait rester de divin dans l’esprit français. Cette foule idolâtre postulait un idéal digne d’elle et approprié à sa nature, cela est bien entendu. En matière de peinture et de statuaire, le Credo actuel des gens du monde, surtout en France (et je ne crois pas que qui que ce soit ose affirmer le contraire), est celui-ci : « Je crois à la nature et je ne crois qu’à la nature (il y a de bonnes raisons pour cela). Je crois que l’art est et ne peut être que la reproduction exacte de la nature (une secte timide et dissidente veut que les objets de nature répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un squelette). Ainsi l’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait l’art absolu. » Un Dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude. Daguerre fut son Messie. Et alors elle se dit : « Puisque la photographie nous donne toutes les garanties désirables d’exactitude (ils croient cela, les insensés !), l’art, c’est la photographie. » A partir de ce moment, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de vouloir bien continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance, on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne. Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un double sacrilège et insultant à la fois la divine peinture et l’art sublime du comédien. Peu de temps après, des milliers d’yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l’infini. L’amour de l’obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. [...]
   Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. Qu’une si stupide conspiration, dans laquelle on trouve, comme dans toutes les autres, les méchants et les dupes, puisse réussir d’une manière absolue, je ne le crois pas, ou du moins je ne veux pas le croire ; mais je suis convaincu que les progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome. [...] Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginai
re, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !"


Charles Baudelaire in  
Le public moderne et la photographie

jeudi 30 décembre 2010

La critique des immortels


"[Le cinéma] est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuris par leur besogne et leurs soucis [...], un spectacle qui ne demande aucun effort, qui  ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n'allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'une un jour "star" à Los Angeles."

George Duhamel, cité par Walter Benjamin in 
L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique

mercredi 29 décembre 2010

Fiat ars, pereat mundus !

Le nu comme portrait

 

 
Par Marie-Claire Montanari (lien à cliquer), encore du nu mais un petit air de Lucien Clergue, beaucoup de variété et des idées intéressantes.

lundi 27 décembre 2010

Quand quelqu'un bouge, les immobiles disent qu'il fuit
























"Il est des réveils matin qui sonnent comme des clairons, il y en a peu qui chantent des berceuses"

Julos Beaucarne

samedi 25 décembre 2010

Au mocassin le verbe























"Tu me suicides, si docilement.
Je te mourrai pourtant un jour.
Je connaîtrons cette femme idéale
et lentement je neigerai sur sa bouche.
Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard,
même si je fais beau temps.
Nous aimez si peu nos yeux
et s'écroulerai cette larme sans
raison bien entendu et sans tristesse.
Sans."

vendredi 24 décembre 2010

Des ombres découpées

Vénus


Par Carla van de Puttelaar, inspirée de Cranach l'Ancien, une façon intéressante de photographier le nu féminin.

jeudi 23 décembre 2010

La science des rêves




Par Clark et Pougnaud. Une découverte récente, un mélange d'imaginaires intéressant.

La nuit des hommes


"Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu."

jeudi 16 décembre 2010

Maquette de matériau

Voilà la fin du projet de la matériauthèque : la maquette des deux matériaux qu'on avait choisis sous différents éclairages... Monochrome orange.
http://materiautheque.blogspot.com/


 






mercredi 15 décembre 2010

Digital. Faster.



























Fausse pub faite avec le groupe ZARL. Premier appareil numérique, le QuickTake100 s'entend "QuickTexan" la première fois. So, shoot the west.

mardi 14 décembre 2010

Marie


Ils rient de toute une dent Pour croquer le silence Autour des filles qui dansent A la mort d'un printemps

La chaleur se vertèbre 
Il fleuve des ivresses 
L'été a ses grands-messes 
Et la nuit les célèbre

lundi 13 décembre 2010

Margot


Ivres comme des artistes

dimanche 12 décembre 2010

Sylvia



Soirée d'été dans le Lot ; des discussions sur l'avenir sur le passé sur la vie.

samedi 11 décembre 2010

vendredi 10 décembre 2010

les regards douloureux des lampadaires la nuit




14 août :
être vu
voir 
donner à voir

jeudi 9 décembre 2010

états anticipés ou retardés
















6 août :
"La quête de l'exotisme se ramène à la collection d'états anticipés ou retardés d'un état familier."

mercredi 8 décembre 2010

il déplace mais aussi déclasse.











23 juillet :
"Un voyage s'inscrit simultanément dans l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n'est définissable qu'en la rapportant solidairement à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate. J'éprouve des changements : cette chaleur tranquille et humide affranchit mon corps de l'habituel poids de la laine et supprime l'opposition (que je découvre rétrospectivement comme une des constantes de ma civilisation) entre la maison et la rue ; d'ailleurs j'apprendrais vite que c'est seulement pour en introduire une autre, entre l'homme et la brousse. J'étais pauvre et je suis riche. En même temps qu'il transporte à des milliers de kilomètres, le voyage fait gravir ou descendre quelques degrés dans l'échelle des statuts. Il déplace, mais aussi déclasse."

Claude Lévi-Strauss in Tristes Tropiques

mardi 7 décembre 2010














4 juillet :
"Ce qu'on cherche; c'est un mode de présence dans le discours du politique qui ne soit pas ressassant."

lundi 6 décembre 2010

Espoir démence
















17 juillet :
"Etait-ce donc cela, le voyage ? Une exploration des déserts de ma mémoire, plutôt que de ceux qui m'entouraient ?"
Claude Lévi-Strauss in Tristes tropiques

"dans des temples semblables à des bordels
quel sera notre droit de les combattre à demeure ?
une certaine dose d'injustice, d'insensibilité, de cruauté. Je pense à nos coutumes judiciaires et pénitentiaires.
et une tentative de rachat il me suffira de citer les Aztèques, plaie ouverte au flanc de l'américanisme
obsession maniaque pour le sang et la torture
entrons dans le procès de tout état social Méfiez-vous de celui qui vient mettre de l'ordre
il nous faudra constituer un type, nous colonisant au profit d'un monde silencieux dont nous sommes devenus les agents
ô progrès
notre monde a perdu la chance qui lui était offerte de choisir entre ses missions."

dimanche 5 décembre 2010

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans




















Deuxième volet d'un exercice de studio, cette fois-ci sur la photo que Carjat avait faite de Baudelaire. Finalement, tout s'est bien moins bien passé que prévu : la lumière de Carjat provenait d'une verrière sous le soleil, lumière à la fois dure et diffuse, véritable défi de la photo en studio, où les lumières sont ponctuelles et soit dure soit diffuse. Il nous a donc fallu élever une source le plus haut possible pour essayer de retrouver l'ambiance de la photo originale.

samedi 4 décembre 2010

Vivons mon coeur vivons sans désirer la mort


Je ne cours plus Fortune, il est temps que j'essaie
Après tant de rochers, de rencontrer le port.



vendredi 3 décembre 2010

une discontinuité sans succession



"La temporalité fixée n'est plus un devenir, mais une discontinuité sans succession (...). Littéralement, la photographie organise une "temporalité-détemporalisée" qui ne garde du devenir que ses traces matérielles figées. Or, si le monde des phantasmes pathologiques est diversifié à l'infini, ce qui caractérise toute pathologie de l'imagination, c'est que le passé y est coupé de ses repères chronologiques et de ses ouvertures au présent."


Robert Castel in Un art moyen

jeudi 2 décembre 2010

Rêves préparation

L'été avant le départ, la préparation.
Une commande, plus ou moins, un réveil avec le coq ; le matin, la campagne, les pieds nus et les vaches.

Lien

mercredi 1 décembre 2010

l'éloignement provisoire, le risque du changement affectif, l'accoutumance et le vieillissement



















"Chacun peut arracher au devenir des lambeaux de vie fixés sur la pellicule, chacun peut à chaque instant travailler à construire son musée personnel avec les cartes glacées de ses photos-souvenirs. [...]
L'homme n'a pas seulement à conjurer la disparition totale, mais l'éloignement provisoire, le risque du changement affectif, l'accoutumance et le vieillissement."

Robert Castel in Un art moyen

le bluff


















13 juillet :
et des fois l'angoisse. la perte totale, le cri malgré nous ; tout le passé qui remonte, toute la fatigue de vivre qui éclate.
et des fois plus de confiance en l'ici et le maintenant, plus de confiance dans les gens tout autour de nous.
l'équipe se scinde, c'est comme un tremblement.
je reste seul, me jette dans l'aventure pour ne pas me perdre. j'affronte seul des paysages hostiles, complètement nu de culture, n'ayant comme arme que mon innocence, comment survivre dans un monde que l'on ne connait pas.
on bluff, on parie tout, tout sur la beauté humaine.
et ça marche.

lundi 29 novembre 2010

Matériauthèque

 Travail en studio : étudier différentes matières sous différents éclairages, différentes positions d'éclairages.
De l'organique au minéral, des déchets aux accessoires, nous avons balayé un spectre large de matériaux, et nous avons pris le parti de peu changer de source d'éclairage pour plus jouer avec le positionnement.
Les images ne sont pas retouchées, on voit les différences de dureté, de couleur, de flou ou de texture de la lumière et du matériau, les deux éléments s'unissant dans un tout inextricable : la matière et la lumière qu'on pose dessus sont une seule et même chose.


http://materiautheque.blogspot.com/

dimanche 28 novembre 2010

mourir peut-être mais d'ivresse


















19 août.
syrie. société de la pudeur. société de l'érotisme.
quel choc pour moi qui viens - et je m'en rends compte seulement à présent - d'une société pornographique ! ici l'homme n'a pas poussé la curiosité jusque dans ses retranchements les plus malsains, ici la sexualité et le corps des autres n'est pas soumis à l'avidité d'un progrès destructeur pour l'imagination et la liberté de chacun ; ici, c'est l'équilibre oriental, non pas tourné vers un futur, un mieux, non pas ligne droite mais cercle infiniment stable. ici un poignet, un cheveux deviennent hautement érotiques quand il faut chez nous des strings et des seins nus pour n'importe quelle publicité affichée sur nos murs comme viande froide, comme marchandise évidente ou dividende entendu qu'on nous offre pour n'importe quel produit.
sous couvert de liberté et d'expression libre nous autorisons et nous réclamons la pornographie et l'escalade de la pornographie : excuses sublimes pour un moralisme puritain, outils usant et épuisant notre érotisme et notre sexualité. ici les sens reprennent leur naïveté comme une virginité mentale, ici la sensualité a gardé son mystère et sa fraîcheur adolescente et semble pouvoir durer éternellement.
mais qui suis-je moi, occidental extrémiste parmi les extrémistes, moi qui cherche la perte toujours plus avant, moi qui veux voir toujours plus loin ? je n'échappe pas à ma condition, animé par cette curiosité qui me dévore et me brûle et m'empêche de rester en place, je veux voir tout ce que mes yeux pourront voir, boire tout ce que je pourrai boire et vivre tout ce qui sera possible de vivre. boire le vin jusqu'à la lie. 
mourir peut-être mais d'ivresse.

samedi 27 novembre 2010

"et pourtant, si le pouvoir était pluriel comme les démons ?"















28 juillet :
je dis que la politique - à savoir l'institutionnalisation du pouvoir - est la meilleure façon de nous éloigner de ce qui est véritablement important, le politique : l'expression naturelle, inévitable et permanente de notre individualité en valeurs de pouvoir.
la meilleure façon de nous circonscrire dans un combat que nous sommes seulement sûrs de perdre.
affirmer son individualité, c'est affirmer son pouvoir individuel, son cylindre ponctuel et temporaire, ici et maintenant ; c'est affirmer qu'on n'estime pas platement un seul pouvoir (qui serait le pouvoir de la politique) qui serait situé au-dessus des hommes, mais qu'on considère tous les hommes comme des pouvoirs et les associations des hommes comme d'autres pouvoirs qui s'y ajoutent - et pas seulement parmi ceux-là l'état.
loin des prés gardés des partis de ceux qui savent qu'ils ont raison, que leur interprétation bien huilée et bien rodée par des décennies de discours est bien la bonne la seule la vraie, j'aime essayer de comprendre les hommes par moi-même en les rencontrant, hésiter souvent me tromper toujours expérimenter.
devenir ces hommes, chuter, se décupler.

vendredi 26 novembre 2010

des regards tristes


13 juillet :
jusqu'au fond du désert il y a des enfants tristes, des téléphones portables, des jeux idiots et des regards malheureux.

jeudi 25 novembre 2010

un corps à mon plaisir fugitif















15 juillet :
"Moi comme je suis joyeux, je t'aime comme un objet ; je te trouvais jolie alors j'ai eu envie de te tendre la main, et de te toucher, t'attraper"
aussi j'aime le monde comme un objet, comme un enfant gigantesque rabelaisien qui a la Terre comme terrain de jeu
et si je l'aime comme un objet c'est que je le trouve beau avec toutes les émotions que ce mot peut contenir
j'ai envie de le manipuler, le prendre le tordre le jeter le sucer le casser le pleurer le mordre le caresser
envie de passer des heures à l'admirer
être au monde avec le plus d'intensité possible
la photo c'est ma manière d'être au monde,
une manière tous les jours de jouir d'être vivant
donner une image à l'émotion,
un corps à mon plaisir fugitif

mercredi 24 novembre 2010

"Et il ne peut être homme s'il n'entre pas dans le symbolique."





























14 juillet :
"Quand l'homme entre dans le monde, il entre dans le symbolique qui est déjà là.
Et il ne peut être homme s'il n'entre pas dans le symbolique."

Une photo


Les lecteurs de l'Espresso se souviennent probablement de la retranscription de l'enregistrement des dernières  minutes de Radio Alice, pendant que la police enfonçait la porte. Beaucoup ont dû être frappés par le fait que l'un des speakers, tandis qu'il racontait d'une voix tendue ce qui se passait, essayait d'en rendre l'idée en se référant à une scène de film. La situation d'un individu en train de vivre une scène assez traumatisante comme s'il était au cinéma était tout à fait singulière.
                Il ne pouvait y avoir que deux interprétations. L'une, traditionnelle : la vie est vécue comme une œuvre d'art. L'autre nous oblige à quelques réflexions supplémentaires : c'est l'œuvre visuelle (le cinéma, la vidéo, l'image murale, la B.D., la photo) qui fait désormais partie de notre mémoire. Cette interprétation est assez différente de la première et semblerait confirmer une hypothèque déjà avancée, c'est-à-dire que les nouvelles générations ont projeté comme composants de leurs comportements une série d'éléments filtrés à travers les médias (et certains provenant des zones les plus inaccessibles de l'expérimentation artistique de ce siècle). A dire vrai, ce n'est même pas la peine de parler de nouvelles générations : il suffit d'appartenir à la génération intermédiaire pour avoir  éprouvé à quel point le vécu (amour, peur ou espoir) est filtré à travers des images "déjà vues". Je laisse aux moralistes la condamnation de cette façon de vivre par communication interposée. Il faut simplement rappeler que l'humanité n'a jamais agi autrement et avant Nadar et les frères Lumière, elle a utilisé d'autres images tirée des bas-reliefs païens ou des miniatures de l'Apocalypse.
                Maintenant il faut prévoir une autre objection, cette fois-ci non pas de la part de ceux qui ont le culte de la tradition : ne serait-ce pas au fond un exemple désagréable d'idéologie de la neutralité scientifique que de tenter, encore et toujours, face à des comportements en acte et à des événements brûlants et dramatiques, de les analyser, de les définir, de les interpréter, de les disséquer ? Peut-on définir ce qui par définition se soustrait à toute définition ? Eh bien, il faut avoir le courage de réaffirmer encore une fois ses convictions : jamais comme aujourd'hui l'actualité politique n'a été traversée, motivée et abondamment nourrie par le symbolique. C'est faire de la politique que de comprendre les mécanismes du symbolique à travers lesquels nous bougeons. Ne pas les comprendre conduit à faire une politique erronée. Certes, réduire les faits politiques et économiques aux seuls mécanismes symbolique est une erreur : mais ignorer cette dimension l'est aussi.
                Parmi les nombreuses et graves raisons qui ont été déterminantes dans l'échec de l'intervention de Lama [au mois de mars 1977, le chef des trois confédérations syndicales italiennes, Lama, a tenté de faire un discours aux étudiants - appartenant en majorité aux groupes "autonomes" - occupant l'université de Rome, lesquels l'en ont empêché par des actions violentes (N.D.T.)] à l'université de Rome, il faut en retenir surtout une : l'opposition entre deux structures théâtrales ou spatiales. Lama s'est présenté sur un podium (bien qu'improvisé), et donc selon les règles d'une communications frontale typique de la spatialité syndicale et ouvrière, à une masse d'étudiants qui a au contraire élaboré d'autres modes d'agrégations et d'interactions, des modes décentralisés, mobiles ou en apparence désorganisés. Il s'agit d'une autre forme d'organisation de l'espace, et ce jour-là à l'université s'est produit aussi un conflit entre deux conceptions de la perspective, l'une, disons, à la Brunelleschi et l'autre cubiste. Bien sûr, on aurait tort de réduire toute l'histoire à ces deux facteurs, mais on aurait également tort de liquider cette interprétation comme un divertissement intellectuel. L'Eglise catholique, la Révolution Française, le nazisme, l'Unions soviétique et la Chine populaire, sans parler des Rolling Stones et des équipes de football, ont toujours très bien su que l'organisation de l'espace était religion, politique, idéologie. Rendons donc au spatial et au visuel la place qui leur revient dans l'histoire des rapports politiques et sociaux.
                Abordons maintenant un autre fait. Dernièrement, à l'intérieur de cette expérience variée et mobile qu'on a appelée le "mouvement", sont apparus les hommes de la P. 38 [Du nom du pistolet de calibre 38 invoqué comme instrument de justice sociale et de réalisation personnelle de la part de certaines factions des "autonomes" (N.D.T.)]. Plusieurs instances intérieurs ou extérieures au mouvement ont demandé à celui-ci de les reconnaître comme un corps étranger. On a eu l'impression qu'un refus rencontrait des difficultés et cela pour plusieurs raisons. Disons en quelques mots que beaucoup de participants au mouvement ne se sentirent pas capables de reconnaître comme étrangères des forces qui, même si elles se manifestaient de façon inacceptable et tragiquement suicidaire, semblaient exprimer une réalité de marginalisation qu'on ne voulait pas renier. En deux mots, on disait : ils se trompent, mais ils font partir d'un mouvement de masse. Ce débat était dur et épuisant.
                Et voilà que la semaine dernière, l'enchaînement de tous les éléments du débat restés jusque-là en suspens s'est précipité. Tout d'un coup, et je dis tout d'un coup parce que en l'espace d'un seul jour on a eu des rébellions décisives, l'isolement des "P. 38istes" est devenu évident. Pourquoi justement à ce moment-là ? Pourquoi pas avant ? Il ne suffit pas de dire que les événement de Milan ont impressionné beaucoup de gens, car ceux de Rome avaient été aussi impressionnants. Qu'est-il arrivé de nouveau et de différent ? Essayons d'avancer une hypothèse, en rappelant encore une fois qu'une explication n'explique jamais tout, mais fait partir d'un ensemble d'"explications étroitement imbriquées : une photo est parue.
                Dans la masse de toutes les photos parues, une, toutefois, a fait la une de tous les journaux après avoir été publiée par le Corriere d'informazione. Il s'agit de la photo d'un individu en cagoule, seul, de profil, au milieu de la rue, les jambes écartées et les bras tendus, qui tient horizontalement et avec les deux mains un pistolet. Sur le fond on voit d'autres silhouettes, mais la structure de la photo est d'une simplicité classique : c'est la figure centrale qui domine, isolée.
                S'il est permis (d'ailleurs, c'est une obligation) de faire des observations esthétiques dans des cas de ce genre, cette photos est l'une qui passeront à l'histoire et apparaîtront sur des milliers de livres. Les vicissitudes de notre siècle sont résumées par peu de photos exemplaires qui ont fait date : la foule désordonnée qui se déverse sur la place pendant les "dix jours qui bouleversèrent le monde" ; le milicien tué de Robert Capa ; les marines qui plantent un drapeau dans un îlot du Pacifique ; le prisonnier vietnamien exécuté d'un coup de pistolet à la tempe ; Che Guevara martyrisé, étendu sur le lit de camp d'une caserne. Chacune de ces images est devenue un mythe et a condensé une série de discours. Elle a dépassé les circonstances individuelles qui l'ont produite, elle ne parle plus de ce ou de ces personnages individuels, mais exprime des concepts. Elle est unique, mais en même temps elle renvoie à d'autres images qui l'ont précédée ou qui l'ont suivie par imitation. Chacune de ces photos semble être un film que nous avons vu et renvoie à d'autres films. Parfois il ne s'agissait pas d'une photo, mais d'un tableau ou d'une affiche.
                Qu'a "dit" la photo du tireur de Milan ? Je crois qu'elle a révélé tout d'un coup, sans besoin de beaucoup de déviations discursives, quelque chose qui circulait dans beaucoup de discours, mais que la parole n'arrivait pas à faire accepter. Cette photo ne ressemblait à aucune des images qui avaient été l'emblème de l'idée de révolution pendant au moins quatre générations. Il manquait l'élément collectif, et la figure du héros individuel y revenait de façon traumatisante. Ce héros individuel n'était pas celui de l'iconographie révolutionnaire, qui a toujours mis en scène des hommes seuls dans des rôles de victimes, d'agneaux sacrifiés : le milicien mourant ou le Che tué, justement. Ce héros individuel, au contraire, avait l'attitude, l'isolement terrifiant des héros de films policiers américains (le Magnum de l'inspecteur Callaghan) ou des tireurs solitaires de l'Ouest, qui ne sont plus aimés par une génération qui se veut une génération d'Indiens.
                Cette image évoquait d'autres mondes, d'autres traditions narratives et figuratives qui n'avaient rien à voir avec la tradition prolétaire, avec l'idée de révolte populaire, de lutte de masse. D'un seul coup elle a produit un syndrome de rejet. Elle exprimait l'idée suivante : la révolution est ailleurs et, même si elle est possible, elle ne passe pas à travers le geste individuel.
                La photo, pour une civilisation habituée à penser par images, n'était pas la description d'un cas singulier (et en effet, peu importe qui était le personnage, que la photo d'ailleurs ne sert pas à identifier) : elle était un raisonnement, et, dans ce sens, elle a fonctionné.
                Il importe peu de savoir s'il s'agissait d'une pose (et donc d'un faux) : si elle était au contraire le témoignage d'une bravade consciente ; si elle a été l'œuvre d'une photographe professionnel qui a calculé le moment, la lumière, le cadrage ; ou si elle s'est faite presque toute seule, tirée par hasard par des mains inexpérimentées et chanceuses. Au moment où elle est apparue, sa démarche communicative a commencé : encore une fois le politique et le privé ont été traversés par les trames du symbolique, qui, comme c'est toujours le cas, a prouvé qu'il était producteur de réel.
Espresso, 1977.
in La Guerre du faux, Umberto Eco